Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI a lancé de nombreuses réformes dans les domaines politique, économique et social, accompagnées d’évolutions constitutionnelles et institutionnelles. Cependant, ces transformations n’ont pas remis en cause les fondements du système politique marocain, qui puise sa légitimité dans les traditions monarchiques et religieuses, tout en s’adaptant aux mutations internes et externes.
Dans ce cadre, le système politique marocain peut être analysé selon l’approche du « constant et du changeant », certains aspects étant demeurés immuables malgré les mutations, d’autres ayant connu des ajustements ou évolutions. À travers cette approche critique, nous évaluerons les réformes politiques entreprises par le Maroc et leur impact sur la nature du pouvoir et l’équilibre des forces.
Premièrement : Le constant dans le système politique marocain
1. La monarchie comme noyau central du pouvoir
Le régime monarchique reste la pierre angulaire du pouvoir au Maroc. Le roi dispose de larges prérogatives, aussi bien au niveau législatif qu’exécutif, voire judiciaire. La Constitution de 2011, bien qu’adoptée sous la pression du mouvement populaire de 2011 (Mouvement du 20 février), n’a pas modifié l’essence de la monarchie exécutive. Le roi demeure « Commandeur des croyants », chef de l’État et chef suprême des forces armées, ce qui fait de la monarchie l’institution la plus stable et influente du paysage politique.
2. L’hégémonie de l’institution makhzénienne
Historiquement, le système politique marocain est lié au concept de « makhzen », qui incarne un pouvoir central fondé sur l’allégeance et l’obéissance, reposant sur un réseau d’influence liant le palais, les notables, l’administration territoriale et les services de sécurité. Malgré les tentatives de modernisation de l’État, la structure du makhzen reste intacte, se reproduisant notamment à travers la nomination des walis et gouverneurs, et par l’autorité administrative étendue de l’État central sur l’ensemble du territoire.
3. Le contrôle du champ politique et des partis
Malgré un multipartisme apparent, le régime maintient une emprise sur la scène politique via le contrôle de la création des partis, l’affaiblissement de l’opposition et l’encadrement des élections. Les partis qui accèdent au gouvernement doivent composer avec le palais, ce qui rend l’alternance souvent symbolique et réduit l’efficacité des institutions élues.
4. La persistance des problématiques relatives aux droits humains et à la justice
Bien que certaines revendications aient été mises en avant – notamment en matière de droits humains, avec les initiatives comme l’Instance Équité et Réconciliation et une relative ouverture sur la liberté d’expression – les atteintes à la presse indépendante, les arrestations de militants et les procès à caractère politique demeurent fréquents. Le système judiciaire reste partiellement soumis à l’influence politique, en particulier dans les affaires sensibles.
Deuxièmement : Le changeant dans le système politique marocain
1. Les réformes constitutionnelles et institutionnelles
Le Maroc a connu des réformes jugées importantes, notamment avec la Constitution de 2011 adoptée en réponse aux revendications du mouvement du 20 février. Ce nouveau texte a élargi les pouvoirs du Chef du gouvernement par rapport aux versions précédentes. Néanmoins, le roi conserve des prérogatives centrales qui font de lui le principal acteur du processus décisionnel.
2. L’ascension des islamistes et leur domestication politique
L’accession du Parti de la Justice et du Développement (PJD) au gouvernement en 2011 a représenté un tournant majeur, marquant une tentative d’intégration des islamistes dans l’appareil gouvernemental. Cependant, cette montée en puissance s’est révélée limitée, ne remettant pas en cause l’équilibre du pouvoir. Le parti a été confronté à de fortes pressions, notamment après le limogeage d’Abdelilah Benkirane en 2017, suivi du recul de son influence.
3. La modernisation de l’État et l’élargissement du champ économique
Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, le pays a lancé de grands projets économiques tels que le « Plan Maroc Vert », le développement des infrastructures, ou encore la stratégie industrielle. Les investissements étrangers ont été encouragés et les partenariats économiques renforcés, transformant la structure de l’économie nationale. Cependant, ces réformes n’ont pas été accompagnées d’une redistribution équitable des richesses. L’une des problématiques les plus criantes reste le taux élevé d’analphabétisme, particulièrement dans les zones rurales, ce qui limite l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi. Les jeunes âgés de 18 à 30 ans sont les plus touchés, souffrant d’un accès limité à une éducation de qualité, ce qui réduit leurs chances d’obtenir un emploi décent.
Le chômage, quant à lui, demeure l’un des défis sociaux les plus complexes au Maroc. Les jeunes peinent à trouver des opportunités professionnelles, ce qui alimente les vagues d’émigration à la recherche d’une vie meilleure. Malgré certaines politiques publiques ciblées, la situation reste insatisfaisante, nourrissant le désespoir et le mécontentement social.
4. La montée des mouvements sociaux et politiques
Depuis les manifestations du Mouvement du 20 février en 2011, le Maroc a connu plusieurs vagues de protestation, notamment le Hirak du Rif, les mobilisations de Jerada, et les contestations sociales contre la vie chère. Malgré les tentatives des autorités de répondre à ces mouvements par une approche développementaliste, la répression sécuritaire reste de mise, révélant un décalage entre le discours officiel et la réalité des pratiques.
Troisièmement : Lecture critique du processus de réformes
Bien que le Maroc ait entrepris des réformes jugées importantes sous Mohammed VI, celles-ci sont restées sous le signe du contrôle et d’une gestion encadrée du changement, sans mener à une réelle transition démocratique. Le système politique conserve un caractère autoritaire, concédant des ouvertures limitées, calculées pour apaiser les tensions en période de crise.
Par ailleurs, les inégalités économiques et sociales traduisent les limites du modèle de développement en vigueur, qui n’a pas réussi à réduire le chômage ni à améliorer les services de base de manière significative. Le maintien des restrictions sur les libertés et les médias illustre également un paradoxe entre les discours officiels et les engagements en matière de démocratie et de droits humains.
Conclusion
Le système politique marocain reste caractérisé par une dialectique entre permanence et mutation, préservant ses fondements traditionnels tout en opérant des ajustements face aux évolutions contextuelles. Si le Maroc a su éviter les scénarios d’instabilité observés dans d’autres pays de la région, le maintien du contrôle sur le champ politique et l’absence de volonté réelle d’instaurer une démocratie authentique risquent de compromettre la pérennité des réformes. La situation politique et économique du pays exige des transformations radicales et profondes, à commencer par des réformes constitutionnelles affirmant les droits humains, soutenant la démocratie participative, et assurant une meilleure représentativité des régions historiques.
Abdelmajid El Hakouni
Le 19 mars 2025 – Troyes, France

Texte original en arabe